[Nooon, c'est de la torture de fleur, le Front de la Défense des Droits des Végétaux ne te le pardonnera jamais ! D:]
Les souvenirs défilaient devant ses yeux clos. Elle ne les voyait pas, mais, d'une certaine façon, elle les sentait autour d'elle.
Des souvenirs pesants, qui, au fil des années, avaient rendu son coeur lourd et douloureux à porter, voilà que leur poids semblait enfin s'envoler, apaisant la plaie ouverte qui avait orné son flanc tout au long de son existence.
La vie représente un fardeau, la mort incarne la liberté.
Ainsi étaient les paroles qu'elle se psalmodiait intérieurement, sans relâche. Dans l'état étrange dans lequel elle se trouvait, à mi-chemin entre une transe inconsciente qui anesthésiait ses appréhensions et craintes , et la douloureuse réalité qui cherchait à lui faire, au contraire, prendre conscience de l'intensité de la situation -et y parvenait par accouds, dans cet état-là, elle se sentait incapable de discerner ses propres émotions et sensations.
Etait-elle heureuse que le tourment de la vie eût enfin cessé ? Logiquement, ç'aurait dû être ça. Elle ne regrettait rien. Elle ne s'était concrètement attachée à rien dans son existence de mortelle. Pas même de son frère, qui, elle s'en rendait compte à présent, n'avait pas représenté tant que ça à ses yeux.
Elle se surprit elle-même à parvenir à réfléchir rationnellement, bien qu'à moitié plongée dans une somnolence affligeante.
Lilith aurait ainsi pu continuer indéfiniment à errer dans une dimension abstraite, où son corps semblait ne plus exister physiquement. A observer distraitement le flot de mémoire qui lui tournaient autour, dans une courbe parfaite, sans que jamais elle ne put les atteindre ou les toucher. Spectatrice de sa propre vie. Ou de son ancienne vie.
Mais le destin en décida autrement.
Une image, une seule lui apparut soudain comme un flash aveuglant, et mémorable, qui retentit dans son esprit, alarmant tous ses sens.
C'est avec cette image en tête qu'elle émergea de ce qu'elle considéra sur le coup comme un sommeil lointain.
Une jeune fille aux cheveux blond pâle, au regard d'un bleu profond et envoûtant. Sa robe bleue évoquait celles que portait de coutume Lilith, quoique dénué de détails superflus.
Quant à son nom, il résonna longuement dans son esprit, comme un écho qui refusait de s'amoindrir.
"Alice..."
Alors, seulement, elle ouvrit les yeux, et c'est avec difficulté que la vue de la plaine qui s'étendait devant elle ne remplaça la vision de la belle Alice, vision qui sembla se dissoudre progressivement en sa mémoire, sans jamais disparaître intégralement.
Le passage entre la vie et la mort s'était achevé avec succès - était-ce vraiment une bonne chose ? - et avec lui s'était envolée cette impression de somnolence. Ainsi recouvrait-elle à présent, aussi soudainement qu'elle avait ouvert les yeux, toutes ses capacités de raisonnement.
Puis elle ressentit la douleur. Une souffrance inouïe qui lui fit se tordre son corps en deux, si bien qu'elle se redressa subitement. Dans la foulée, ses abdominaux endoloris lui arrachèrent un hurlement strident.
Elle le ressentait encore, le poids de la voiture qui lui roula lestement dessus, écrasant ses boyaux et réduisant son pauvre corps frêle en un amas de chair et d'os qui gisait sur du goudron rouge.
Elle entendait le crissement des pneux.
Cette douleur disparut en moins d'une demi seconde. Pourtant, elle resta gravée en sa mémoire encore quelques instants, son coeur battant à tout rompre refusant de s'arrêter - d'ailleurs, en avait-elle encore un ? Ou bien fut-ce seulement l'illusion d'un corps vivant qui lui parvenait dans l'au-delà ?
"Où suis-je ? [BANAL POWAAAH]"
Elle regarda à droite, puis à gauche. Ce paysage lui semblait de toute part inconnu. Pourtant, il s'en dégageait une forte impression de calme qui la rendaient inexplicablement sereine.
Sensation qui dura à son tour une fraction de seconde, avant qu'elle ne note la présence indésirable d'une demoiselle, dans son dos, qui se manifesta de la sorte :
- Qu'est-ce qu'une innocente petite fille fait ici toute seule ?
Lilith se retourna vivement, avec les réflexes d'une gamine prise la main dans le sac en train de voler un bonbon alors que sa mère le lui avait défendu.
Et bien que le visage de l'inconnue soit à première vue sans anomalie notable, à mieux regarder, ses traits semblaient tordus en un rictus malsain, comme s'il avait été reproduit si souvent qu'on put le distinguer, quelque soit l'expression qu'elle adopta.
Instantanément, le corps de Lilith fut saisi d'un violent frisson. Peut-être se faisait-elle des idées. Qu'il s'agissait d'une fille naïve à ne pas s'y méprendre.
Mais un flash lui apparut soudain, déniant avec vigueur cette idée absurde.
Devant ses yeux se déroulaient des scènes effroyables. Elle voyait cette adolescente aux cheveux grisâtre et aux yeux perçants s'époumoner d'un rire terrifiant et glacial, tandis que, de ses mains, elle lacérait le corps d'humains sans défense.
Certains étaient déjà crucifiés, d'autres totalement défigurés. Leurs corps étaient lambeaux de chair et de sang.
Cette vision dura un instant, avant qu'elle ne se ressaisisse, les yeux déformés par une terreur incontrôlée.
Les battements de son coeur semblaient déchirer le mur du son, et elle craignit qu'ils se fassent entendre, jeta un regard désespéré à Reiko.
Celle-ci, pourtant, semblait tout à fait normale, comme si de rien n'était, mis à part cet éternel rictus imprimé dans ses traits.
Qu'avait-elle vu ? Le passé ? Le futur ?
Le fantasme ?
Toujours est-il qu'il ne semblait s'agir que d'une illusion. En jeune fille rationnelle, Lilith se reprit, et tenta d'afficher une mine sereine, puisque l'expression euphoriquo-gamine dont elle faisait habituellement usage semblait refuser de s'afficher.
D'une voix qu'elle s'efforçait de rendre le moins déstabilisé possible, elle lança d'une voix mal assurée :
- Je.. ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est que je suis morte.
Ici... (elle s'interrompit de manière quelque peu théâtrale, et jeta un coup d'oeil craintif de part et d'autre de son corps)... C'est le paradis ? Je veux dire... C'est trop beau pour être l'enfer. Pourtant, je ne pense pas avoir été digne du paradis...