-Ayez pitié ! Je ne reviendrais plus, je vous le jure !

Sourire cruel. Yeux émerveillés par les traits de ce visage ensanglanté. Ce rouge si noir…Aux tendances sucrées, aux hurlements désespérés. Ce pourpre envoûtant faisait de moi le plus heureux des hommes, et le porter chaque jour me donnait cet aspect de monstre de la nuit, une image que je ne pouvais me résoudre à oublier. L’odeur métallique de ce liquide était le plus beau met qu’on puisse m’offrir. Je le portais sur mes griffes, goûtant cet arôme délicieux du bout de ma langue devant les yeux horrifiés de ma proie piégée. Une jeune fille d’à peine treize ans. Aux yeux noirs d’ébène emplis de larmes. Suis-je monstrueux ? Suis-je laid ? Affublé de son sang, me voilà sa mort, son cauchemar. Hurlement de désespoir sonnant comment le chant de la fin à mon oreille aiguisée.

-Monsieur Jabberwocky ? Un billet pour vous…

Silence de mort. Me voilà dérangé par cette femme…Regard tueur. Elle avait gâché mon jeu. Je prends d’un coup sec le billet qu’elle me tendait d’une main tremblante ; certainement que le bain de sang répandu au sol et l’odeur nauséabonde de corps en putréfaction la gênait. J’ai lâché les cheveux de l’enfant s’écroulant au sol dans le sang de ses parents. Ce ne fut pas de la surprise mais de la rage. Morgana qui me « demandait » de venir la voir, dans deux jours exactement…Cette obligation des plus nuancées ne pouvait que me rendre des plus colériques. Moi qui n’écoutais que mon âme, je n’avais pas le choix, et le fait de devoir suivre les ordres d’une autre personne m’offusquait, cette impuissance ne me plaisant aucunement.
Avais-je le choix ? Non. Je me suis passé une main dans les cheveux, m’exaspérant devoir rencontrer pour la première fois la nouvelle reine de cœur, et du fait qu’elle avait le droit de m’embêter quand elle le voulait et où elle le voulait. Ôtez vous de la tête l’idée que je la déteste, loin de là, elle m'ennuie de par sa naïveté et ses "Avons-nous des visiteurs aujourd'hui ?"…Cependant un conseil, ne jamais sous estimer une reine rouge, j’en suis témoin. Le dernier en date tient toujours compagnie aux serpents et autres reptiles dans les égouts du château. Oui, bien qu'on me dise que Morgana, la nouvelle souveraine est douce comme un agneau, je connaissais ces reines de cœur. De Maria à Morgana, elles ont toutes été cruelles envers moi et leur peuple...Qui me dit que Morgana n'est pas ainsi, en son âme ?

-Disposez.

Elle s’en alla d’un pas précipité après la vue de ma main traversant la gorge de l’enfant ayant essayé de s’enfuir, espérant peut-être une faute d’inattention de ma part. Raté. Les seules fois où je fais des erreurs arrivent durant mon sommeil. Le corps rejoignit ses congénères, dans l’eau mouvante d’une rivière souterraine prenant une couleur délicieusement rouge ♥.

Deux jours après.

A y repenser, j’aurais peut être du nettoyer le bijou…Mais que voulez-vous, mon emploi du temps est serré, et enlever le sang séché d’une pierre de jade est d’un inintérêt incroyable. Essayez, vous verrez. La femme de chambre croisée la dernière fois me fit signe de rentrer, un valet m’accompagna, ridiculement petit à côté de moi. Ou peut-être étais-je plus grande que la normale…Question sans importance, où en étions-nous ?

J’ai froncé le nez, m’introduisant silencieusement dans la chambre illuminée de quelques bougies et d’un filet de lumière rentrant de par les volets entrouverts de la fenêtre. L’odeur bien trop parfumée de la pièce ne m’allait pas, on aurait dit l’air alourdi, et cet arôme m’agressait la gorge pour mieux me rendre insupportable. Oui j’étais de mauvaise humeur ! Ça m’arrive parfois ! Depuis avant-hier, je ne cessais de m’insulter, d’en vouloir au monde entier, de souffrir le martyr à cause d’un stupide projectile appelé couramment flèche et d’un grand méchant loup à l’esprit enfantin qui m’interloquait par ses questions à l’incroyable non sens ! Je me retenais pour ne pas la dévorer…

J’ai signifié ma présence en déposant le collier doré retenant la pierre de jade sur la coiffeuse de la reine et prit un chocolat entre deux doigts pour en manger la moitié. Le goût était trop compliqué, mais je n’avais rien d’autre sous la main pour soulager ma faim passagère. Ah si, une jeune reine jamais croisée jusqu'alors…Vous avez compris, aussi appétissante qu’elle soit, je ne pourrais jamais la dévorer.

Je me suis accoudé au bord de la fenêtre, jouant de mes doigts avec le chocolat, fixant le ciel du dehors par l’interstice du volet, un goût amer dans la bouche. Certes c'était la première fois que je rencontrais Morgana, cependant je la savais naïve et sans grand intérêt, je ne pouvais me résoudre à rester plus longtemps pour un rien, mais il m'était interdit de refuser ses ordres, allez savoir pourquoi...Je me suis légèrement incliné à son égard, ne la fixant pas, ne le voulant surtout pas, ne m'y intéressant pas. Les adolescentes venant d'accéder au trône ? Tss, aucun intérêt ! J'ai juste déclaré d'une voix tout de même mielleuse et séductrice :

- Je suis le Jabberwocky, le serviteur des reines rouges. Pour vous servir.

Dans l’ombre, elle paraissait comme toute autre femme, fine, avec quelques formes de ci de là. Je m’étais habitué au corps féminin au point d’en connaître les moindres parcelles…En fait, je connaissais même celui masculin, hihi ♥. L’homme est vraiment facile à cerner, aucune liberté d’esprit, se laissant guider par son instinct, même les plus grands philosophes, même ceux qui se disent au-dessus de l’instinct humain. Ils s’ornent de breloques, levant le nez au ciel, fixant les créatures d’en bas d’un air méprisant, avec ce je ne sais quoi dans le regard qui dit «Voyez, pauvres bêtes immondes, je suis homme, au plus près de Dieu lui-même ». L’humain me fascine pour ainsi se voiler la face, tellement que j’en ai envie de vomir…L’homme n’est qu’un déchet, une pourriture se croyant beauté, un être tentant de survivre en se trompant lui-même, dans notre monde horrible. Tellement qu’il croit avoir le pouvoir sur nous autres, animaux. C’est si…captivant à regarder ♥.

Accoudé au mur, je la fixais tout le long de ses actions, de ce regard vermeil impassible, dégoulinant d’une petite curiosité et surprise pantoise. Voilà une bien étrange reine, ressemblant peu à l’humain que je côtoyais d’ordinaire. Se maquiller seule, s’habiller seule, sous la lumière du jour, elle semblait moins femme, et plus reine. De celles au charisme implacable, au regard captivant et au sourire noble. Je trouvais cela idiot et en même temps nouveau. Elle possédait des servantes qui n’attendaient qu’un geste pour s’occuper d’elle, quelle raison la poussait à ainsi s’abaisser. Reine, cela signifie quoi pour elle ?

J’eus un sourire un peu cynique, un ricanement léger sortit de mes lèvres. Décidément, bien mystérieuse la Morgana. Je me souvenais des reines de cœur passées comme des personnes autoritaires, se croyant tout permis, se croyant déesses elles-mêmes, et qui finalement, crevaient la bouche ouverte, hurlant à l’aide un nom inconnu, qui bien entendu, ne se montrait jamais à l’instant de leur mort. L’humain est un dépravé de première classe ♥.

Notre présente reine de cœur, parlait avec le sourire, d’une voix douce et calme, hypnotique peut-être ? Ses mots me surprirent, la bête en moi restant méfiante et prudente, immobile dans mon âme, scrutant les moindres faits et gestes de la demoiselle. Non, elle ne possédait pas ce visage autoritaire des reines me voyant pour la première fois. Non, elle n’essayait pas de me faire du mal, de tenter de me faire souffrir pour que je perde mon visage arrogant…Etait-elle idiote ? Je me le demandais bien. Ou alors, elle cachait son jeu pour mieux prendre à revers ses interlocuteurs.

Mon sourire se fît plus présent. Quelle étrange femme, moi qui la croyais ennuyeuse…Ma main passa dans mes cheveux rouges. D’une démarche silencieuse et reptilienne, je me suis placé derrière elle, devant son miroir cependant, pour la fixer dans les yeux, n’ôtant pas mon petit sourire satisfait. J’ai joué avec l’une de mes griffes de fer, tout en commençant mon speech :

-Votre Majesté, ce n’est pas à moi de vous faire une requête puisque vous n’êtes pas ma servante, cela vous plairait tant que cela d’échanger nos rôles ? ♥

Mon sourire s’étira, mes yeux illuminés de taquinerie. Mes ailes s’étendirent sous le comble de l’impatience mais aussi pour les dégourdir. Une requête ? J’avais reçu une missive comme quoi elle voulait me voir…Je mettrais ça sur le compte d’un de ses stupides hommes politiques et irait, sitôt cette conversation terminée, le trouver pour le dévorer.
Reprenant un ton plus sérieux et impassible, je pris le collier sur la table de chevet, celui amené comme présent et joua avec, sans vraiment me soucier des règles de bienveillance appliquées normalement devant une reine.

-J’ai retrouvé le groupe de rebelles non loin d’ici, ayant comme lubie de vous assassiner. L’on m’y a envoyé pour les éradiquer ainsi que savoir qui est leur commanditaire. Mon travail a été terminé ; l’un d’eux a dit qu’il s’agissait de la reine blanche. Malheureusement, j’ai peine à croire qu’il s’agisse vraiment d’elle, il n’est pas de son genre d’employer des bêtes de cirque pour tuer ses ennemis.

J’ai détaché le collier pour ensuite le laisser prendre goût au cou de sa nouvelle propriétaire, mon visage derrière le sien, les yeux animés d’une pointe d’amusement et de folie. Ce joli ambre allait à merveille avec son teint et la couleur de son regard, j’avais fait le bon choix de massacrer cette petite fille pour lui prendre le bijou. Ma voix se fit murmure :

-Il vous va à ravir ♥.