Et un nouveau tour dans le miroir ! Le dernier de la journée si tout se passait bien. Non pas qu’elle se lassait, son entre-deux était presque le seul endroit où la rouquine se sentait à l’aise. Un silence presque religieux y régnait, elle n’avait pas à y supporter la compagnie forcée d’autres personnes, et surtout, au dessus de tout autre argument…c’était à elle. Elle aurait pu passer des heures à se promener dans ce qui ressemblait à une suite d’immenses pièces aux murs couverts de fenêtres. Tant de miroirs à visiter, tant d’endroits qui n’attendaient qu’elle. L’aspect même des ‘fenêtres’ différait selon la forme et l’état du miroir qu’elle représentait. Et celui qui l’intéressait pour sa dernière course était certainement l’un des plus jolis, prenant la moitié d’un mur à lui seul. Vu les lumières qui y dansaient, les festivités avaient déjà commencé.

Du bout des doigts, elle caressa la surface du miroir, souriant devant les ondulations presque ondines. Et elle passa la main au travers, cherchant le bois qui se trouvait sous le miroir qu’elle avait déjà emprunté plusieurs fois. Une fois trouvée, elle frappa deux coups, puis un coup, puis deux autres coups et passa la seconde main, puis la tête. Code mis au point pour éviter de faire mourir de peur les barmans du Moulin Rouge. Oui c’était un bordel, mais aussi un bar vachement sympa où Mary adorait traîner…et discuter avec elles. Ah les filles du Moulin, toujours charmantes ! Mais ce soir elle était là pour un homme, et quel homme ! Le patron du Moulin, le mac de ces dames, le tordu au grand sourire, Mister Veredraun Arha. Manquait plus que les roulements de tambours tiens. Elle avisa le barman, un qu’elle connaissait à peine, et lui demanda où se trouvait son boss. Réponse : dans les coulisses. Evidement, avec des nanas presque nues tout autour, où pouvait-il se trouver sinon là ?

Lachant un bref soupir, la jeune femme s’extirpa du miroir et sauta au sol, remettant en place ses cheveux qui décidément faisaient leur vie. Un jour il faudrait qu’elle fasse quelque chose, mais elle rechignait à les couper ou les attacher. Ce serait donner trop d’importance à son image et elle s’en moquait, ne croisant jamais son reflet dans le miroir. D’un pas sur et tranquille, elle se dirigea vers les coulisses. Personne ne l’arrêta, à force ils savaient tous qu’elle venait voir le chef. Pas la peine non plus de se poser des questions sur la raison de sa venue, encore un message de leur Reine. Inutile de se demander pourquoi ces deux personnages hauts en couleurs correspondaient, elle préférait rester un minimum saine d’esprit. Se glissant derrière le lourd rideau, rouge évidement, elle vit celui qu’elle cherchait.

Cet homme savait définitivement recevoir. De l’alcool à profusion au bar, une déco accueillante et confortable, et les plus belles nanas du coin. Techniquement Mary n’avait rien à envier à ces jeunes fleurs, mais l’idée de dandiner du popotin pour ensuite se le faire claquer par un illustre inconnu…Non, elle n’aimait pas danser de toute façon. La messagère s’approcha en silence de l’homme, pour se placer juste à côté de lui. Il bavassait aimablement avec une de ses filles, qui portait en tout et pour tout un tissu translucide au niveau du bas ventre, cachant juste l’essentiel…pas vraiment en fait, mais bon, c’était l’idée. La donzelle partit vers la salle, tiens au niveau du postérieur il y avait juste une espèce de ficelle pour retenir le tout, intéressant. Mary s’éclaircit la gorge, signalant sa présence pour la forme, avant de lui tendre une lettre cachetée.

De la part de sa Majesté, comme d’habitude. Quoi de beau ce soir au programme ?

Les mains dans les poches, elle observait sans vraiment voir le décor autour d’elle. Sympa comme cadre, mais elle préférait la salle et ses fauteuils tellement confortables, ses alcôves sombres et discrètes, et les filles, toujours les filles.

Sans aller jusqu’à l’adorer, elle appréciait le personnage. Rien de personnel bien sur. Cette façon si particulière d’être…complètement en dehors de toute possibilité de jugement. Même sa façon de parler en énigmes en aurait poussé plus d’un à la violence, pour se faire très certainement rétamer d’une façon ou d’une autre. Pour ceux qui comprenaient en revanche, c’était bien plus intéressant. Ce qui était son cas, en partie. Elle se contenta de hocher la tête d’un air entendu, écoutant la suite avec plus d’attention. Croisant les bras sur son giron, elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait…raison. Oh elle n’allait pas crier haut et fort qu’elle se foutait éperdument de son ‘camps’. Mais sa première allégeance allait à elle-même et c’était un peu près tout.

Hélas il semblerait que tout ce beau monde sombre dans la torpeur et l’amusement vain. Au moins cela fait marcher votre affaire principale.

Un regard sur la salle lui dévoila l’assistance. Les corps dévoilés des filles contre ceux habillés des hommes, les couples s’éclipsant, les anciens partenaires sortant à leur rythme, un ballet soigneusement orchestré par l’homme à la canne au canard. Braves petits soldats allant au combat, non pas vêtus d’armures et acier au point, mais parées de leurs plus beaux atours mettant à nu leur chair, leur charme pour ultime arme. Elle aurait pu emprunter cette voie elle aussi, mais sans conviction. Elle aimait trop le sang, la douleur reçue ou infligée lors d’un combat. Entrer dans l’armée de la Reine, devenir une Carte ? Non, elle préférait amplement son boulot de messager, qui lui permettait d’avoir une belle porte de sortie au cas où.

Le boulot de la journée était terminé, maintenant place à l’amusement ! Pivotant sur elle-même, elle fit face au profil du gérant du Moulin. Non elle n’allait pas lui faire de propositions indécentes, déjà parce qu’il faisait partie de ces rares personnes s’approchant le plus du statut d’amis qu’elle possédait, et de toute façon il n’était pas son style de mec. La jeune femme s’étira rapidement puis remis ses longs cheveux en place…non en fait elle allait les attacher, ils pesaient lourd sur sa nuque et lui tenaient trop chaud dans cette atmosphère déjà surchauffée et sulfureuse. D’un lien qu’elle sortit de sa poche, elle les contraignit en un chignon plus ou moins propre, de nombreuses mèches ayant de toute façon décidé de faire leur vie.

Qu’avez-vous à proposer ce soir comme amusement pour une jeune fille esseulée ? En dehors de la bagatelle avec un autre client, bien sur.

L’oisiveté n’était son fort, elle lui préférait l’activité, tout le temps, tuant l’ennui qui menaçait son esprit par tout un tas de diverses occupations. Loin d’être hyperactive pourtant, cette façon d’être ne pouvait se deviner sous le pâle masque calme qu’était son visage. Et pourtant, alors même que l’homme lui proposait une entrevue dans son bureau, l’esprit de la jeune femme naviguait entre ses diverses taches au palais, le programme de la journée du lendemain, le corps du dernier amant qu’elle avait eu et son envie d’investir dans un nouveau pantalon de cuir, rouge cette fois, pour aller avec ses cheveux. Et ces magnifiques bottes à sangles d’argent…Machinalement, elle avait suivi l’homme, sachant que pour le moment elle n’avait rien à craindre. En revanche dans le bureau, le poids de son fleuret à son côté la rassurerait. Cette pièce avait le don de la rendre méfiante et sur le qui-vive, son instinct à fleur de peau, comme si tout et n’importe quoi pouvait sortir des murs. Et pourtant niveau visites impromptues elles s’y connaissait.

Pénétrant dans la pièce, la jeune femme ne put qu’admirer la beauté des lieux. En même temps elle aimait le rouge, ce n’était un secret pour personne, et les canapés étaient parfaits dans cette couleur. Malgré le côté flippant de la pièce, il fallait reconnaître à son propriétaire un certain goût, dans le rayon flippant aussi. Mary entra dans la pièce après l’invitation du Patron, le remerciant d’un petit signe de tête au passage, et passa derrière la table pour s’asseoir. Elle hésita une demi seconde, jaugeant le coussin, pour finir par y poser son postérieur, le cuir de son pantalon craquant légèrement. Et maintenant ?

Mary ne voyait pas vraiment de quoi parler, après tout ils n’étaient pas amis, juste connaissances, et il arrivait qu’ils se rendent de petits services de temps à autre. Parler de la pluie et du beau temps ? Très peu pour elle, la messagère préférait les discussions franches et claires aux petits jeux lassants des gens cherchant à savoir ce qu’il se passait dans la tête de l’autre. Il lui arrivait de s’en servir bien sur, quand elle ne savait pas à qui elle avait à faire en face, mais là ce n’était pas nécessaire. Elle savait de quoi était capable Veredraun, tout comme il devait se douter des capacités de son invitée, et elle savait pertinemment qu’elle n’avait pas envie de jouer au plus malin avec lui. On ne devenait pas confident de la Reine par hasard, tout comme on n’obtenait pas la place si mystérieuse de messager sans être doué pour les confidences.

Comment se portent vos affaires en ce moment ? L’oisiveté générale est d’un pesant au Palais, on y entend presque les mouches discuter philosophie.

Les verres devant elle étaient déjà remplit, mais elle n’y toucherait pas avant que son hôte ne l’y invite…et qu’il y boive en premier. Question de sécurité. Et encore, elle préférait voir la boisson être servie sous ses yeux, voir carrément se servir elle-même. On ne savait jamais ce que pouvait dissimuler un liquide, et il existait bien des choses capables de vous faire dire la vérité, dévoiler vos petits secrets ou bien pire…ceux qu’elle connaissait et qui n’étaient pas forcément les siens. Son cerveau fourmillaient d’informations qui pouvaient valoir leur pesant d’or et faire tomber quelques têtes, de quoi la mettre en danger et en même temps faire d’elle un réceptacle à protéger farouchement. Dans l’antre d’un homme tel que Veredraun Arha, les deux choses pouvaient arriver, à voir quelle voie il emprunterait.

La couleur de l'alcool ne l'inspirait pas vraiment, le vert ne faisait pas partie de ses couleurs favorites. Mais le patron but son verre, elle devait suivre, sans savoir de quoi il s’agissait. Vu son attitude sulfureuse et énigmatique, elle penchait pour une absinthe, sans sucre, sans flamme, comme seuls les plus courageux et téméraires peuvent boire. Le changement de musique finit par la décider, le requiem épique lui procurant la fougue nécessaire pour cesser de faire la fine bouche. Mary s’empara du verre et le but d’une traite. Quand le patron envoie, toi tu bois ! Même si le liquide vous brûlait la gorge à vous donner envie d’aller sucer un iceberg pendant des heures. Ce n’était pas de l’absinthe mais de la Chartreuse, et pour de l’antigel qui décoiffe, c’était de l’antigel qui décoiffe.

Sa respiration semblait avoir totalement disparu pendant un bref instant, coupée par la brûlure qui prenait ses aises dans sa gorge, avant qu’une inspiration aussi longue que silencieuse ne parvienne à ses poumons. Elle en aurait presque versé une larme, si elle avait été une petite chose fragile. Mais elle avait une réputation qui la précédait, en dehors de ses talents de voyageuse, une qui dissertait un peu plus sur ses prouesses un verre à la main. Elle suivit des yeux l’homme, le son de sa canne au sol résonnant presque comme un appel malgré la musique, le rictus qui hantait son visage présageant bien des choses. Et il parla. Et elle ne pouvait qu’approuver. La différence entre le génie et la folie avait toujours posé problème de part le monde et en causerait encore longtemps, toujours était-il qu’en cet instant précis, après avoir écouté chacun des mots, elle n’avait qu’une envie : l’applaudir. Et c’est ce qu’elle fit, ses mains s’entrechoquant délicatement dans un rythme lent, les yeux myosotis de la jeune femme brillant d’une flamme qui semblait éteinte depuis longtemps.

Oh elle ne se moquait pas de lui, et après avoir applaudi quelques secondes, elle s’installa plus confortablement, son dos se callant contre le dossier alors que son bras gauche prenait ses aises sur l’accoudoir, un sourire discret mais du même acabit que celui de Veredraun sur les lèvres. Ce type était doué, très doué, et il venait de se faire une nouvelle alliée. L’âme sure ruse mal…mais elle doutait de la santé de celle-ci.

Et par où compter vous commencer à plonger tout ce beau monde dans l’abîme le plus profond ? Simple curiosité bien sur.

Charmante Mary, vêtue comme un homme, aux délicats atouts d’une femme accomplie, plus dangereuse que la pire des plantes carnivores. De la sueur, du sang et des larmes, le programme des réjouissances ne pouvaient que l’enchanter, il restait juste à savoir pourquoi il affichait ouvertement ses projets à la simple messagère quelle était. Et plus que ça, quelle serait sa part du butin une fois que le monde se serait effondré sur lui-même et qu’ils en contempleraient les décombres avant de trouver un nouveau jouet à casser? Bien des questions qui auraient très certainement une réponse sous peu. Se penchant en avant, Mary saisit la bouteille et remplit les verres, pour lever le sien en un salut presque respectueux.

A vos mots si bien tournés qui sauraient en inspirer plus d’un.

Ou une…

Damocles. Elle se souvenait des légendes qu’elle lisait dans son enfance, et elle connaissait la signification de ce nom. L’épée suspendue, menaçant de tomber à tout moment, tranchant tout sur son passage. L’idée même de la menace invisible et constante. Plaisante perspective, qui la sortirait à coup sur de l’ennui qui l’assaillait constamment. En revanche, elle se retrouvait encore à faire le pigeon voyageur, si elle suivait les plans de l’homme à la canne. Son dernier mot la fit esquisser un sourire, mais elle était déjà dans ses pensées.

Être un larbin, elle connaissait. Obéir à des ordres, faire exactement ce qu’on lui demandait, elle le faisait à longueur de journée. En oublier son identité propre pour ne devenir que le moyen de transmettre des messages. On peut abandonner son intégrité pour presque rien…Un toit, une paie, un endroit à considérer comme ‘chez soi’. Mais elle voulait plus, toujours plus, sentir son cœur battre si fort qu’il allait percer sa poitrine, retrouver les frissons de l’adrénaline, l’anticipation et le plaisir à croiser le fer, encore et encore, l’odeur du sang, de la sueur et des larmes mêlés, les frissons au contact de la peau d’un homme…Mary était au final une créature de sensations, bien que dotée d’un intellect tout à fait fonctionnel et inventif, mais ses sens dominaient ses décisions. Elle aimait ou détestait, brûlait ou glaçait, il n’y avait pas de demi-mesure.

Une vendetta, telle une offrande votive, mais pas en vain. Un grand homme a dit ça…Bien qu’étant pour un peu de grabuge gratuit, quel serait le but derrière tout ça ?

Il n’y avait pas de certitudes, que des opportunités. Et si elle arrivait, grâce à Damoclès, à se propulser plus haut que ce que l’actuel avenir fade lui réservait, elle ne se gênerait pas. Oh elle ne doublerait pas le patron du Moulin, elle n’avait aucun intérêt à s’en faire un ennemi, mais si elle pouvait servir ses propres intérêts au passage, elle ne se gênerait pas. La jeune femme n’était pas dupe, s’il avait l’occasion de la sacrifier pour le bien de son petit plan, il ne reculerait certainement pas. Elle non plus. Ce que j’ai subi a fait de moi ce que je suis. Et la confiance aveugle n’avait jamais été son fort.

Le visage fermé, elle fouilla sa poche pectorale pour finalement trouver ce qu’elle cherchait. Un tube noir, qu’elle alluma d’une allumette prestement craquée. Elle ne dirait jamais où elle l’avait eu, plutôt mourir, mais elle adorait ce goût mêlant tabac et opium, autant qu’elle le détestait au final. La fumée opaque quitta ses lèvres pour s’élever, se joignant à celle du cigare. Son regard se posa sur l’homme, le détaillant. Sur le plan purement physique, elle pouvait avoir le dessus, le reste restait à voir. La jeune femme attendait plus que des promesses dans le silence de cette pièce cachée, une ébauche de plan par exemple