Ah quelle belle et sublime journée qui commençait pour notre nouveau et inexpérimenté directeur, Jack ! Magnifique phrase d’accroche, n’est-ce pas ? Mais la réalité n’en pas si éloignée, et pourtant pas si proche non plus. Enfermé dans ses quartiers, monsieur le chef ne savait absolument pas si, au dehors, le soleil répandait ses doux rayons ou si une guerre civile était entrain de ravager les environs. Enfin, vous me direz, une guerre civile, il y en a toujours au moins une ou deux qui éclatent chaque jour, ici, à Wonderland.

Pour une fois, Jack s’affairait sur la paperasse, non pas qu’il en avait véritablement envie, mais ce qui le motivait était de tester ses employés. En effet, il comptait bien remettre tous ses documents en temps et en heure, puis il leur laisserait un court instant pour les ranger, et, connaissant leur fainéantise, s’amusera à brûler les papiers non classés. Ainsi il garderait seulement les plus organisés d’eux. Ou tout simplement, il pourrait jouer le rôle, qui lui va si bien, de chieur professionnel, avec une excuse.

Dernier papier signé, peut être pas lu, mais signé quoiqu’il en soit. Le borgne se leva, s’étirant comme un félin après une longue sieste. Il ne s’était jamais douté que tant de mots, de lignes, de paragraphes, de pages, de dossiers, pouvaient mettre son esprit en veille. Il passait devant le nouveau cadre qu’il venait de fabriquer. Il s’arrêta, fixant l’œuvre – si tant est qu’on puisse nommer la chose ainsi – espérant peut être que celle-ci allait lui répondre. Après un instant il soupira et remit l’objet dans sa position la plus normale : penché. Jack, comme l’usine, n’aimait décidément pas la normalité.

Un bon paquet de dossier sous le bras, l’homme s’empressa de se rendre dans la partie la plus ennuyante de l’usine : l’administration. Les habitants de ce lieu n’avaient qu’un seul mot à la bouche « papier administratif ». D’ailleurs, certains, qui aimaient aller droit but, ne passaient plus par le mot, et avait directement des feuilles coincés entre leurs lèvres. Difficile de dire si c’était un procéder ingénieux pour pouvoir libérer leurs mains, ou tout simplement un disfonctionnement de leur esprit qui leur ordonnait de manger du papier… Qui sait…

En entrant dans cette salle, le borgne soupira, comme à chaque fois qu’il voyait cette scène. Papier, papier, papier. Partout, tout le temps. Du sol au plafond, des piles, des masses, des tours de feuilles. Même les bureaux et les fournitures étaient en papier. Jack jeta un coup d’œil à l’une des employés. Une nouvelle ? Elle avait l’air bien trop sain d’esprit pour avoir passé plus de 48heures dans ces lieux. Quoique… Si elle était déjà bien dérangée à la base, il est possible que cet endroit, par son immense absurdité, lui ait redonné sa lucidité. Il ne prit guère le temps de lui parler, il déposa simplement sa paperasse, pour ne pas dire qu’il la jeta tout simplement, puis il se dirigea, comme un enfant, vers son petit terrain de jeu.

Il adorait ennuyer sa main d’œuvre, surtout ici, en créant des petites œuvre architectural en papier. Des sortes de château de cartes, mais avec des feuilles de papier. (Because cards are too mainstream !) Bien sûr, n’allez pas croire qu’il les faisait tenir par magie. Il utilisait de la colle. Mais le personnel n’étant pas un courant, et toujours dans la précipitation, cela l’amusait beaucoup de planter un monument supposé fragile en plein milieu du chemin. Bouchons, gamelles et stress étaient au rendez vous. Jack ? Sadique ? Mais non mais non.
Il s’occupait toujours de sa réplique d’église, semblait-il, lorsque la demoiselle se tourna vers lui, un sourire figé, presque robotique, plaqué sur son visage.

« Tout est en ordre monsieur. »

Jack n’aimait pas l’ordre, la perfection trop parfaite, mais il ne dit rien, il hocha simplement la tête en regardant par la fenêtre. Après un long moment, il se dirigea vers la sortie, un air énigmatique imprégnait son visage.

« Nous allons avoir de nouveaux joueurs … »

La demoiselle souriait toujours.

« Vous êtes impressionnant ! Vous pouvez prédire les nouveaux arrivants ! Vous êtes véritablement un être hors du commun ! Je suis très heureuse d’être au service d’un tel personnage ! »

Jack se retourna vers elle, et la jaugea du regard.

« Ben non, je les ai vu par la fenêtre, abrutie … »

Le sourire de la jeune femme sembla se briser un cours instant avant de reprendre sa forme habituel. Bien content d’avoir fait bouger l’expression de cet espèce d’androïd, Jack se précipita pour accueillir ses nouveaux « amis », qui le veuillent ou non. Ils étaient déjà à la grande porte. C’est qu’ils sont rapides les gosses de nos jours. Il se décida à ouvrir non pas la porte, mais la fenêtre à côté. Pas qu’il soit fatiguant d’ouvrir un tel ouvrage, mais la véritable porte d’accès à cet endroit était la fenêtre. Ne me demandez pas pourquoi, il n’y a pas de raison. De toute façon, il n’y a plus aucune raison ici.

« Eeeeeeeeh vous là ! Les deux délinquants entrains de faire une violation de domicile ! Oui vous ! Approchez approchez, n’ayez pas peur, vous ne craignez rien. Vous êtes bloqués n’est-ce pas ? »

Il regarda longuement leurs apparences physiques. Ces gens n’étaient pas vraiment comme le reste du peuple. Soient ils étaient du cirque, soit des toutous. Ils n’étaient pas assez bien habillés pour être des envoyés d’une des deux reines. Quoiqu’il en soit, ils venaient sans doute pour affaire. Reste à savoir lesquelles.