On avait entendu ce bruit toute la journée. Un son vieux de plus de 500 ans qu’on n’avait pas entendu depuis une dizaine de siècles et une centaine de décennies. Certains étaient familiers avec ce bruit. Certains sursautaient à chaque fois qu’ils l’entendaient. Certains savaient parfaitement ce que c’était, étant cependant surpris que la source de ce bruit étrange soit revenue après toutes ces années. D’autres se demandaient si la fin du monde était enfin arrivée. On pouvait associer ce bruit à plusieurs choses : Un avion supersonique, une explosion, la détonation d’un fusil de chasse. Mais ce bruit venait du ciel et en fait, c’était l’accélération subite du Gryphon.

Effectivement, Arthur Smith était un passionné de vitesse. Sentir le vent fouetter son visage et voler à plusieurs centaines de kilomètre à l’heure, il raffolait. C’était aussi incroyablement utile étant donné qu’il pouvait aller aux quatre coins de Wonderland en quelques secondes. Ainsi était notre Arthur. Il passait le plus clair de son temps dans le ciel… surtout ces derniers temps, puisqu’il n’avait pas eu l’occasion de voir ses nuages pendant longtemps.

Cependant, cette nuit là, ce fut différent. On entendit cette fameuse explosion, mais celui-ci fut rapidement suivit d’un splash assourdissant. Il avait tellement passé de temps dans les airs qu’il avait oublié celle-là. Il avait oublié l’existence de sa pire ennemie : l’eau.

« Je n’ai pas peur de l’eau. Je la déteste, c’est tout. À quoi Dieu avait-il bien pu penser en créant ce truc ? Ça sert à rien. Bien sûr, les gens vont me dire "Bien sûr, ça sert à se déshydrater"… ouais… bien sûr. À vrai dire, j’ai rien contre l’eau douce, parce que la plus part des point d’eau douce ne sont pas creux. Mais n’allez pas me dire que l’eau salée sert à quelque chose ? En plus, on peut même pas respirer dans l’eau et y’a toutes sortes de créatures dégoutantes.

Cette fois là, c’est pas moi qui n’a pas regardé où j’atterrissais, c’est l’eau qui a fait exprès pour se mettre exactement là où je me posais. Et puis… vous pouvez m’expliquer un autre truc ? Pourquoi est-ce qu’on a mal quand on atterrit dans l’eau ? C’est pas supposé faire mal, de l’eau. J’ai faillis perdre connaissance tellement ça a fait mal… mais c’était pas vraiment ça le plus gros problème. C’était ce truc qui m’a attrapé par la jambe et qui m’a entraîné sous l’eau. Je sentais ses dents s’enfoncer dans ma peau et j’ai pas vraiment pu m’empêcher de crier, ce qui m’a fait avaler plusieurs litres d’eau salée. J’ai finalement eu le réflexe de prendre mon épée et de l’enfoncer dans le monstre, à l’aveuglette. Il m’a semblé que je l’ai touché, car il a presque immédiatement lâché prise et est parti alors qu’autour de moi tout devenait noir… J’ai eu le temps d’apercevoir quelque chose. Une ombre qui se dirigeait vers moi. Sûrement le monstre marin qui essayait d’avoir sa revanche, mais avant que je ne perde connaissance, j’ai vu un visage. Dans mon délire, j’ai pensé que c’était une sirène… mais non, ça devait être un dauphin… »

« Réveille-toi… aller, réveille-toi ! RÉVEILLE-TOI, BORDEL !!! »

– AH !

Arthur se redressa brusquement, son front percutant violement le menton de l’elfe, sans pour autant qu’il ne se rende compte de sa présence. Ce n’était pas la gifle de cette dernière qui l’avait réveillé, bien qu’il se fût demandé plus tard d’où pouvait bien venir cette douleur cuisante sur la joue. Non, c’était sa jambe qui l’avait tiré de ce sommeil profond. En revenant peu à peu à lui, tout ses sens étaient revenus : la sensation des vêtements mouillés collés sur sa peau, le sable doux sous ses doigts, le bruit des vagues s’échouant sur la berge et surtout… surtout l’impression d’être marqué par une centaine de fers rouges en même temps sur le mollet.

C’est pourquoi aussitôt qu’il se fut réveillé, il posa ses yeux sur sa jambe, prenant compte de l’ampleur des dégâts que lui avait administrés cette bestiole.

– Elle va me le payer !

À ce moment là, il se rendit compte que son épée n’était plus à sa place dans son fourreau… bien sûr… il l’avait laissé filer avec cette saleté de monstre marin. Son deuxième constat fut de remarquer qu’il n’allait pas pouvoir remettre ses vêtements, vu l’état dans lequel ils se trouvaient. D’abord, ses pantalons étaient couverts de sang. Ensuite, le reste était enduit de sable dans tous les petits recoins… y compris les plus inconfortables.

« Nami va me tuer… »

Arthur arracha un morceau de sa chemise, étant donné que celle-ci était déjà condamnée, et en fit un Garreau sur sa jambe pour l’empêcher de saigner d’avantage. Ce n’est que par la suite qu’il remarqua une présence tout près de lui. Il tourna la tête vers elle, nullement surprit, la jugeant de ses yeux verts, la transperçant du regard et disant d’un air à peine intéressé

– T’es qui toi ?

« Je vais la tuer. Cette femme impolie qui ose se rire de moi. Est-ce que les femmes ont maintenant le droit d’insulter les hommes ? J’ai dû en manquer beaucoup alors. Si seulement j’avais encore mon épée, que je puisse l’empaler. Mes doigts me démangent sous l’envie urgente de l’étouffer ou de vérifier si elle se débrouillait aussi bien que moi sous l’eau. Je vais le lui remettre, ça c’est sûr. Je le lui ai d’ailleurs fait comprendre en lui lançant un regard meurtrier. Qu’elle l’ait vue ou pas, aucune importance.

Mais gardons notre sang froid. J’avais de plus gros problème. J’avais beau l’avoir bandé, ma jambe me faisait toujours aussi mal, si ce n’était pas plus. Avec cette douleur, je craignais être incapable de voler pendant quelques jours, si ce n’était pas une semaine entière… Quelle galère. Je n’avais pas volé pendant des siècles et me voilà qui me blessait pour me reclouer au sol. Le sol… je n’aime pas le sol. Il y a trop d’obstacles partout, il y a l’eau et on ne peut pas se déplacer très vite. »

À la suite des paroles de l’effrontée, Arthur répondit toujours en regardant sa jambe :

– Tout le monde sait qui je suis.

Puis il se tourna vers elle, affichant un sourire aux mauvaises intentions.

– Enfin… tu dois être trop jeune pour le savoir.

« J’ai essayé de me relever, mais j’ai vite remarqué que c’était mission impossible. Le seul fait de mettre un tout petit peu de poids sur ma jambe m’arracha une plainte que j’ai tenté de contenir. Je me suis laissé retomber sur le sable doré, à peine illuminé par les rayons de la lune argentée, m’allongeant, plaçant mes bras derrière ma tête pour mieux pouvoir admirer les étoiles. D’accord, ça valait le coup de s’arrêter. J’en ai même rapidement oublié l’inconnue aux cheveux violets. En fait, je n’avais pas vraiment d’attention à lui offrir. Elle ne m’intéressait pas du tout. »

// Escuse-moi du retard, je suis dans les révisions pour le bac français en ce moment :/ //

Ça faisait longtemps qu’il avait vu un tel tableau. À force de vivre dans cette caverne, éloigné du monde dans lequel il était né, il en avait oublié l’éclat des étoiles. Il avait oublié la douce caresse du vent et ce ballet si gracieux que les arbres entamaient quand le vent venait s’engouffrer dans leur feuillage. Il avait oublié l’éclat du couché de soleil qu’il avait aperçu un instant plus tôt alors qu’il parcourait le ciel à une vitesse fulgurante. Ce champ si vaste ressemblant aux vagues de la mer quand son herbe se retrouvait poussé par les chaudes brises de l’été avait aussi quitté son esprit jusqu’à ce qu’il se retrouve confronté devant celui-ci après des centaines d’années. Mais ce n’était pas seulement lui qui avait oublié.

Lui-même avait été oublié.

Certaines personnes se rappellent de ce légendaire Gryphon ayant un jour parcouru le ciel de Wonderland, mais aujourd’hui, il était devenu une légende. Un mythe que l’on raconte probablement aux enfants pour montrer comment la liberté se retrouvait à être un pêché. Arthur se surprit en train de sourire. Il allait devoir repartir sa réputation à zéro. Mais c’était quelque chose de relativement amusant à faire ; retrouver la gloire, se retrouver une fois de plus envié...

« Un sentiment de bien-être vint naître quelque part en moi. Ce sentiment ne m’avait pas habité depuis bien longtemps et je fus content de l’accueillir à bras ouverts. Je fermai les yeux, profitant du vent qui venait m’ébouriffer les cheveux. Quelque chose me vint alors à l‘esprit. Les paroles d’une chanson. Je n’avais jamais su d’où elles venaient, mais il me semblait que je les connaissais depuis toujours. C’est pourquoi, plongé dans mon monde, je me mis à chanter ces douces paroles :


So come out of your cave walking on your hands
And see the world hanging upside down
You can understand dependance
When you know the maker’s hand

So make your siren’s call
And sing all you want
I will not hear what you have to say

Cause I need freedom now
And I need to know how
To live my life has it’s meant to be

J’ai ouvert les yeux pour les poser sur ma jambe, puis j’ai soupiré. Ça ne devait pas être si pire être cloué sur terre. J’allais pouvoir en profiter un brin. Mes yeux ont ensuite convergé vers la fille… ah… c’est vrai, elle était toujours là et elle m’observait avec une certaine insistance. J’ai fini par sourire »

– Dis donc, t’as l’air de me trouver vachement intéressant. Je vais te le dire d’avance, t’es pas mon genre.

Arthur reposa ses yeux un instant sur le ciel étoilé pour revenir par la suite sur l’énergumène. Rien ce soir ne pourrait changer son humeur… enfin, c’est ce qu’il croyait pour l’instant, car, sachez-le, le Gryphon est d’humeur changeante.



[Source des paroles de chanson : The Cave - Mumford & Sons]